Les compagnons célèbres du chat
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De Louis Ferdinand Céline à Mark Twain en passant par Jack Kerouac, Baudelaire ou Ernest Hemingway, ils étaient tous fascinés par le chat, admiratifs de sa beauté, son élégance et son mystère. Sans doute son calme, sa douceur, son indépendence et son indifférence feinte, en ont fait un compagnon idéal pour les poètes et les écrivains.
" Hautain, libre, mystérieux, voluptueux, babylonien, impersonnel, il est l'éternel compagnon de la supériorité et de l'art -incarnation de la beauté parfaite et frère de la poésie - le chat doucereux, grave, savant et praticien;" H.P. Lovecraft
"J’aime dans le chat cette indifférence avec laquelle il passe des salons à ses gouttières natales" Chateaubriand
Viens, mon beau chat, sur mon coeur amoureux;
Retiens les griffes de ta patte,
Et laisse moi plonger dans tes beaux yeux,
Mêlés de métal et d'agate.
Lorsque mes doigts caressent à loisir
Ta tête et ton dos élastique,
Et que ma main s'enivre du plaisir
De palper ton corps électrique,
Je vois ma femme en esprit. Son regard,
Comme le tien, aimable bête
Profond et froid, coupe et fend comme un dard,
Et des pieds jusques à la tête,
Un air subtil, un dangereux parfum,
Nagent autour de son corps brun.
Charles Baudelaire, Les fleurs du mal
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LE CHAT
Par
PAUL LÉAUTAUD
Photo : Robert Doisneau
Mon Dieu ! j'ai déjà pas mal écrit sur les chats. Je puis écrire encore. J'en ai eu tant autour de moi. A aujourd'hui, pas loin de trois cents, je crois bien. Chacun avec sa physionomie, ses manières, son caractère particuliers. Tout comme nous autres humains, je l'ai dit souvent.
Le mieux, c'est que je n'en ai choisi aucun, puisque tous me sont venus des hasards de la rue, malheureuses bêtes perdues ou abandonnées par des maîtres sans conscience, de ces gens qui prennent un jour un animal, chien ou chat, par fantaisie, et celle-ci passée, le mettent tranquillement à la rue, exposé à tous les risques comme à tous les besoins.
Les chats que j'ai recueillis et qui vivent avec moi n'ont pas ma préférence. Sans doute, je leur suis attaché de les connaître et de jouir de leurs gentillesses, Mais ceux que je ne puis prendre, la place et mes moyens ayant leurs limites, et que je nourris au dehors, je sais bien qu'ils ont les mêmes qualités de grâce, d'attachement et qu'ils seraient, tout comme ceux qui étaient comme eux abandonnés et que j'ai recueillis, des compagnons aussi charmants s'ils étaient chez moi.
J'envoie au diable Descartes qui a dit que les animaux ne sont que des machines - il en disait autant, je crois bien, des humains. Au diable aussi Buffon qui a dit que les chats sont traitres et hypocrites. Au diable encore l'opinion accréditée que le chat n'aime que sa maison et bien moins son maître. Moi qui écris ces lignes et qui, après tout, dut-on me trouver bien présomptueux, ne suis pas plus sot qu'eux, je sais mieux qu'eux à quoi m'en tenir. La raison - pour connaître et juger - n'est pas tout. Un petit peu de cœur ne fait pas mal non plus.
Je viens de dire que je nourris des chats abandonnés au dehors. C'est surtout au Luxembourg - qui est tout près du « Mercure » et d'où viennent, en grande partie, mes compagnons félins. Si j'ai eu bien des chagrins à chaque nouvel abandon que je constatais, quels plaisirs j'ai eus aussi à chaque sauvetage que j'ai fait. Mon cher Coco, par exemple. Quels cris il poussait, le jour que je l'ai pris, dans le panier dans lequel je l'emportais ! Dans le petit appartement de la rue Dauphine où je le fis vivre quelques semaines avant de le transférer chez moi, quelle peur il avait, caché obstinément sous un buffet sous lequel je lui glissais pâtée, lait et gâteries ! Si vous le voyiez aujourd'hui, couché avec moi, sur le côté comme une personne, son nez tout près du mien, une de ses pattes allongée sur mon cou. Dire que des gredins ont mis dehors un animal si charmant, un être si affectueux, dont tout n'est que gentillesse et douceur ! Tristes imbéciles, cruels et malfaisants.
Et ce que je viens de dire de Coco, je pourrais le dire tout aussi justement de Blanchou, de Félix, de Grison comme de Sophie ou de la Noirochon, celle-ci que, chaque matin, avant mon départ, il faut absolument que je prenne quelques minutes dans mes bras. De tous, enfin ! Quand je dis : de tous, je pense à ceux qui sont là, à ceux aussi qui y ont été et qui n'y sont plus, et qui m'ont payé au centuple, par leur compagnie délicieuse, le refuge que je leur ai donné.
Que dites-vous aussi de cette petite histoire, comme commentaire à la sotte opinion de Descartes ?
Dans mes chats du Luxembourg, un noir, Un soir, je le vois sortir du jardin, s'engager sous les galeries de l'Odéon. Je le suis. Je le vois entrer dans un bar de la place de l'Odéon.
J'entre à mon tour. Je demande : « C'est à vous ce chat ? » - «Oui », me répond-t-on. Et on me raconte ceci : « Il est entré un soir en faisant des grâces, donnant des coups de tête à tout le monde. (On sait que c'est la plus vive démonstration d'amitié des chats). On lui a donné à manger. Il est reparti. Deux jours après, il est revenu. Même manège. On lui a encore donné à manger. Il est reparti. Cette fois-ci, c'est le lendemain qu'il est revenu. On l'a encore accueilli de même. Maintenant, il est de la maison. Il va le soir faire un petit tour et revient aussitôt. » Et, en effet, vous pouvez voir maintenant ce petit bonhomme de chat, se prélassant au soleil sur une chaise à la devanture du bar. Il a trouvé une maison. Il est chez lui. Et ce n'est pas tout. Les patrons de ce bar, ont appris que ce chat, avant de se présenter chez eux, s'était présenté dans plusieurs maisons voisines, d'où on l'avait chassé, Que dites-vous de cet animal abandonné, à qui une maison, des maîtres, une société manquent et qui se présente ici et là, gracieux, faisant le gentil, prodiguant ses démonstrations, jusqu'à ce qu'il trouve bon accueil ? Une machine ? une machine ? Allons! mon pauvre Descartes, sans doute vous avez écrit le Discours de la Méthode, mais vous avez aussi dit une fameuse bêtise.
Quant aux chats qui n'aiment que leur maison ; quant aux chats qui s'éloignent et se cachent pour mourir, autant d'opinions sans consistance.
Un peu après la mobilisation de 1914, je suis parti avec quatre, de mes chiens et onze de mes chats pour un pays où j'allais pour la première fois, C'était encore à cette époque un endroit assez désert. Le soir, je partais faire une promenade dans la campagne, ou le long des côtes, au bord de la mer. Les onze chats suivaient avec les quatre chiens, et si je m'arrêtais, étendu un moment sur le sol, tout le monde s'arrêtait aussi, en rond autour de moi.
Quant à la mort, je n'ai jamais vu un de mes chats s'éloigner de moi pour mourir. Au contraire. L'un d'eux, malade gravement, ou à la fin de sa vie, vivant ses derniers jours, je ne l'ai jamais vu aussi près de moi, me témoigner plus d'affection, me marquer davantage le prix de ma présence. C'est même devenu pour moi une indication douloureuse. je sais en pareil cas que la fin du pauvre être n'est pas loin. Les dernières minutes venues, quelle façon, répondant à mes caresses, d'accrocher doucement de ses griffes, ma main pour me retenir. . . . Ah! dame, c'est que, moi, je ne suis pas, pour toutes ces bêtes, un « maître », mais un compagnon, comme chacune d'elles m'en est un. je ne me considère guère que comme un animal d'un autre genre que le leur, sans trop savoir lequel des deux vaut le mieux. A voir la bêtise, la grossièreté et la cruauté des hommes, on peut se le demander.
Source : http://bogros.blogspot.com
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